Filmez Bruxelles.

En 1995, le cinématographe a fêté ses 100 ans.

Selon la légende, ce serait au Grand Café de Paris, le 28 décembre 1895, que se serait tenue la toute première projection publique, qui outre la fameuse "Arrivée du train en la gare de la Ciotat", comprenait d'autres documents des frères Lumière comme "la Sortie des ateliers Lumière" et autres repas du bébé de la prestigieuse famille.

Ce que l'on ignore généralement, c'est que, cocorico !, six semaines plus tôt, le 10 novembre 1895, à Bruxelles, avait eu lieu une projection des mêmes films devant une assemblée de 130 personnes dont faisait partie le bourgmestre Charles Buls que le monde nous envie, ainsi que des membres (photographes, entre autres) du Cercle Artistique et Littéraire.

Etonnant, non ?

J'ajouterai que, le croirez-vous ?, le 12 novembre, c'est à dire deux jours plus tard, si je compte bien (... oui, c'est ça...), deux jours plus tard, donc, eu lieu une deuxième (mais vous verrez qu'il s'agissait vraisemblablement, déjà, d'une troisième séance, mais nous y reviendrons...) séance bruxelloise.

Témoignage exclusif d'un spectateur de cette projection historique:

"  Plongés dans une obscurité profonde, les invités attendent anxieux. Soudain, dans un torrent de lumière presque surnaturelle, des personnages apparaissent, se meuvent, vivent !... s'agitent, nous regardent... et revivent un court instant de leur passé... L'émotion nous étreint, nous allons nous élancer les deux bras tendus... crac!, la mécanique s'arrête, la lumière s'évanouit et nous nous retrouvons, palpitants, interdits, dans le noir mystérieux". (La Chronique, du 13 novembre 1895, commentaire du revuiste Théo Hannon, publié sous le pseudonyme Hannonyme).

Mais, me direz vous, vous référant avec pertinence à ma parenthèse ci-dessus, qui mettait en doute que ce fût là la deuxième séance bruxelloise, était-ce là la deuxième séance bruxelloise ?

Eh bien, peut-être était-ce déjà une troisième séance, car, le croirez-vous ?, certains faits (dont une lettre du lieutenant-colonel Jungbluth à MM Lumière) me portent à croire qu'avait eu lieu, tenez-vous bien, une séance privée au Palais Royal devant S.A.R Monseigneur le Prince Albert de Belgique!

Nooon? Oui!

Saisissez-vous bien qu'il s'agit là d'un coup de tonnerre dans le ciel de l'historiographie officielle de la cinématographie ?

La Rétine de Plateau, a.s.b.l bruxelloise, ne pouvait rester passive face à ce qui apparaît comme une réévaluation du rôle de Bruxelles en tant que ville initiatrice du patrimoine cinématographique mondial.

(Désolé, amis Parisiens, mais qu'il s'agisse de Johnny, de la moule-frite, ou du cinématographe, vous arrivez toujours après Bruxelles...)

Je disais donc que l'asbl La Rétine de Plateau, en collaboration avec l'Echevinat des Beaux-Arts de la ville de Bruxelles (vous voyez bien que c'est du sérieux...), a décidé qu'elle ne pouvait pas ne pas décider d'organiser un événement dont l'ampleur et la portée culturelle soit dans une relation de cohérence et de pertinente adéquation avec l'ampleur et la portée culturelle... non, ça je l'ai déjà dit... avec l'urgence et l'incontournable primordiale nécessité dont les quelques faits évoqués ci-dessus ne pouvaient que constituer des prémices inévitables à la réévaluation in situ d'une occultation qui, qu'elle soit de l'ordre d'une fierté nationale discutable, ou de celui d'un blocage qui s'apparente à un aveuglement psychoculturel discutable, pourrait en quelque sorte, et sans vouloir théoriser inutilement sur ce qui constitue un désir naturel de rétablir sans futiles fioritures de langage, s'avérer un premier pas en direction d'une inébranlable, forcément inébranlable, volonté, de dire ce qui doit être dit, au moment opportun de le dire. (Au cas où manqueraient l'un ou l'autre improbable pronom relatif, conjonction de coordination ou de subordination, prière d'en référer directement à l'auteur; pour les points-virgules, s'abstenir).

Devant cette fulgurante, vous en conviendrez avec moi, nécessité, la Rétine de Plateau a donc décidé d'organiser un concours "Filmez Bruxelles", où chacun des participants réaliserait, à l'instar des précurseurs Lumière, une courte séquence, muette, de 50 secondes, en plan fixe, et qui soit le reflet d'une vision personnelle de la ville.

Le 28 décembre 1995, cent ans, jour pour jour, après la soi-disant (voir plus haut) séance inaugurale au Grand Café de Paris, les films arrivèrent de partout et dans tous les formats, à la Rétine de Plateau... Certains appelaient pour qu'on leur accorde un délai... D'autres, en apportant leur film, racontaient comment ils avaient appris à regarder Bruxelles, comment ils avaient traqué l'insolite, mais aussi, combien il est difficile de résister à la tentation des zooms, travellings et autres effets de notre temps.

Après les révisions, déchirements et problèmes de consciences que l'on imagine, le jury, composé d'éminentes personnalités du monde du cinéma documentaire belge, a fini par sélectionner 10 films parmi les 250 qui participaient au concours.

Cette sélection finale, après avoir été diffusée sur les antennes de Télé-Bruxelles et TV Brussel (deux chaînes communautaires bruxelloises, l'une francophone, l'autre néérlandophone), font dès à présent l'objet d'une vidéo cassette de 10 minutes (150 FB - renseignements: 32 2 223 20 20)

Nous mêmes avons décidé, en raison de la variété des points de vue  sur la ville qu'offraient ces regards cinématographiques, d'en sélectionner la moitié pour le public d'Intérieur Nuit ainsi qu'une approche de leurs auteurs, mais dans un esprit et selon des conditions matérielles équivalentes à celles qui leur avaient été imposées. Nous avons donc rencontré les 5 auteurs choisis en une seule journée, nous les avons filmés en Hi 8. Par contre, nous avons dérogé à la règle du muet, ce qui s'est avéré pertinent, principalement lors des interviews. Et pour différencier autant que possible la sélection de la Rétine de Plateau de nos propres (?) images, nous avons décidé que celles-ci seraient en mouvement.

Je vous livre, ci-après les 5 oeuvres que nous avons retenues, ainsi que l'opinion du cinéaste Henri Stork, qui était président d'honneur du jury:


1/ A vot'bon coeur: "Le réalisateur de TV, Alain Laurent, a compris d'instinct ces difficultés [il parle des contraintes qu'imposaient le règlement du concours] et dans son film (muet comme tous les autres, mais on oublie facilement le son), la solitude du mendiant, rendue encore plus tragique par l'indifférence des passants et le passage des autres dans le plan arrière de l'image, est une réussite parfaite".


2/ Les Chats: "J'aime la tendresse pour "Les Chats" dans le film de Clémy Kindermans". (Je me permettrai d'ajouter que ce petit film pose un regard sur une caractéristique  urbanistique bruxelloise qui consiste à détruire des édifices et de laisser les chantiers à l'abandon pendant une période indéterminée mais rarement brêve).


3/ Première Neige: "J'aime le cadrage parfait et linéaire dans le film "Première Neige" du typographe Marcel Lievyns qui démontre l'implacable rythme de la mécanique automobile où chacun suit les traces de l'autre, comme chez les fourmis processionnaires dans un anonymat glaçant que les flocons de neige accentuent encore".


4/ Marolles Attitudes: "Le film de Dominique Van Cappellen "Marolles Attitudes" exprime le vrai quotidien par sa simplicité. C'est l'oeuvre d'une secrétaire dans la vie réelle, attentive aux autres".


5/ Le Non-Arrivage du Train dans la Gare de l'Allée Verte: de Jan De Breucker est avant tout un gag, mais un gag qui peut donner naissance à bien des réflexions. Et l'on oublie pas cette image fixe au cours de laquelle, ce qui est rare dans le cinéma, on prend conscience du temps qui s'écoule, du silence et du vide".


Les informations et le dossier de presse qui m'ont permis de développer ce texte m'ont gentiment été fournis par Eliana Escobedo, coordinatrice du projet.